Inductio : En cette époque de réappropropriation culturelle, je décide de réclamer mon nom, mon vrai nom. Loin de moi l’idée de comparer mon combat à d’autres, noires ou autochtones pour ne nommer que ceux-là, mais je crois qu’il est possible de s’attaquer à deux problèmes sans diminuer l’importance d’un ou de l’autre. Dire le contraire relève du terrorisme intellectuel.
En 1636, à Port-Royal en Acadie, à l’âge de 27 ans, est arrivé en Amérique mon ancêtre, Antoine Bourg. Il agit à titre de procureur du roi et notaire. C’est lui qui défend la couronne dans les affaires criminelles face aux malfrats. Son fils François et son petit-fils, Alexandre, dit de Bellehumeur, exercent les mêmes fonctions. En 1720, dix ans après la conquête coloniale, il fût engagé par le régime et conserva son poste après avoir convaincu des Acadiens de prêter serment à la Reine, comme c’était alors la coutume avec les régimes impérialistes.
Alexandre Bourg semblait donc être un collabo du régime colonial nouvellement établi. En 1730, il devient aussi percepteur du régime. Judas, rien de moins. Par contre, dès 1731, on se rend compte qu’il y a de la négligence dans ses livres. Il manque de l’argent. Le lieutenant-gouverneur en poste, Lawrence Armstrong, le démet de ses fonctions en 1737, mais une vieille connaissance, Paul Mascarene, faisant aussi partie du régime, le réintègre dans ses fonctions en 1740.
En 1744, il est accusé de nouveau de négligence, mais surtout, d’avoir participé avec les troupes de François Du Pont Duvivier à l’invasion de la péninsule acadienne à Annapolis Royal, anciennement Port-Royal. C’est que l’invasion est financée par le gendre de Bourg, Joseph Leblanc dit Le Maigre. Faites vos calculs : Bourg néglige ses livres, de l’argent manque dans les coffres, son gendre finance la reprise de la péninsule acadienne…
Cependant, les habitants n’appuient pas la rébellion et décident de rester du côté du régime colonial. L’histoire est vague par la suite, mais l’on sait que Leblanc subit un interrogatoire serré du collabo Mascarene. Après cela, Bourg perdit toutes ses fonctions et du même faire semblant de quitter la péninsule quelques années plus tard.
Ces événements concordent avec un autre phénomène. C’est précisément à cette époque que tous les Bourg d’Acadie changèrent de noms pour Bourque. Je n’ai trouvé aucune trace écrite de l’explication de ce changement de nom subit, mais il concorderait drôlement bien avec une répudiation du patronyme, comme si porter le nom de Bourg devenait soudainement synonyme de persona non grata en Acadie.
J’ai aussi entendu la rumeur selon laquelle les Bourg auraient subi du racisme systémique en Acadie de la part du régime colonial et ce, au même moment que les aventures de rébellions d’Alexandre. Pour contrer cela, la famille se serait entendue pour utiliser dorénavant le nom Bourque, très semblable en sonorité à celui de la maison des Burke, aussi appelé Burgh, une noble famille irlandaise faisant alors partie de la couronne, et aussi de nouveaux arrivants qui envahissent l’Acadie.
Ma conclusion est que mes ancêtres ont dû, suite à diverses oppressions du régime colonial, changer de nom pour cesser de subir les foudres de l’autorité en place. En continuant de porter le nom Bourque, c’est comme si je perpétuais la peur qu’on vécu mes ancêtres face au régime colonial, même si ce dernier a bien changé depuis cette époque en devenant beaucoup plus subtile et sournois.
C’est pourquoi je choisis aujourd’hui de resurgir de nouveau sous le nom Bourg. Je retisse ainsi le lien avec mes ancêtres qui ont traversé l’océan pour fonder ici une colonie. Il y a beaucoup à dire sur l’arrivée des premiers colons en Amérique, de leurs relations avec les autochtones et de ce pays de colons colonisés. Les langues commencent à peine à se délier et notre réflexion commune s’amorce enfin.
Pour ma part, je reprends le flambeau de la quête de la liberté d’Alexandre et je refuse de porter un nom colonisé. Je refuse de porter le fardeau d’une conquête coloniale qui perdure encore aujourd’hui. Je refuse d’être le symbole d’une oppression dont on tente encore aujourd’hui de nous convaincre de ses bienfaits au détriment de notre liberté nationale.
Bonjour, je m’appelle Phil Bourg.